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Henri Cartier-Bresson, JEAN-PAUL SARTRE, 1946



Henri Cartier-Bresson, JEAN-PAUL SARTRE, 1946
(taille reelle)
Henri CARTIER-BRESSON - Jean-Paul Sartre sur le pont des arts (1946)

Magnum photos 1946

Les portraits d'Henri Cartier-Bresson sont célèbres. Si célèbres, même, que Jean-Paul Sartre garde à jamais le visage que "HCB" lui a donné en 1946 : la pipe à la bouche, l'oeil de travers et le sourcil froncé, sur un pont des Arts qui s'enfuit dans la brume. Cartier-Bresson disait chercher dans ses portraits à "saisir le silence intérieur d'une victime consentante".
Cartier-Bresson a évacué la parole et le rire, l'anecdote et l'artifice, pour se concentrer sur quelque chose de plus intime et profond. Les images sont impeccablement construites, avec des lignes de fuite qui accompagnent souvent les regards au loin.

Alors que le portrait prétend souvent dévoiler une part de l'être, HCB cultive plutôt le mystère et l'absence. Le regard est rarement frontal, le sujet dérobe ses yeux au photographe aussi bien qu'au spectateur. HCB lui-même cherche à faire oublier sa présence, comme il l'expliquait au Monde en 1983 : "Il ne faut pas qu'on se dise : "Monsieur le photographe était là." Il faut prendre le type quand il est à l'intérieur de lui-même. Le portrait, c'est passer l'appareil entre la chemise et la peau, sans faire de mal."
A la pose, HCB préfère les gestes en demi-teinte ou les instants volés. Comme avec Irène et Frédéric Joliot-Curie, qu'il a pris en photo en 1944 de façon bien cavalière : "Je suis entré. Avant de les saluer, j'ai tiré. Ce n'était pas très poli." HCB aimait cet exercice délicat, ce duel entre deux volontés, qu'il a poursuivi longtemps après avoir renoncé à la photographie pour le dessin, à la fin des années 1960. Sa célébrité l'autorisant à choisir ses modèles, il n'a photographié que ceux qu'il admirait. La sélection montre ses affinités : peu d'acteurs, sauf Isabelle Huppert ou Marilyn Monroe ; quelques hommes politiques ou scientifiques ; mais, surtout, des peintres, écrivains, cinéastes, sculpteurs...
La gravité de ces figures reflète sans doute la révérence d'Henri Cartier-Bresson envers le processus de création. L'écrivain Truman Capote en est un bel exemple : à l'époque, le jeune homme était connu comme un lutin agité, à la toute petite taille et à la voix haut perchée. HCB en fait, lui, un être grave et tendu, la main plongée dans l'ombre, entouré d'une végétation inquiétante. Ce n'est pas le personnage haut en couleur qui intéresse le photographe, mais la force de son esprit. Pour autant, Cartier-Bresson imaginait bien que l'image fixe ne peut totalement dévoiler une âme. Il l'écrit dans Images à la sauvette : "A l'artifice de certains portraits, je préfère de beaucoup ces petites photos d'identité serrées les unes contre les autres aux vitrines des photographes de passeport. A ces visages-là on peut toujours poser une question, et l'on y découvre une identité documentaire à défaut de l'identification poétique que l'on espère obtenir."